28 octobre 2018

Miss Sarajevo - Ingrid Thobois #MRL18

Voici un roman de la rentrée littéraire dont on a très peu parlé et c'est bien dommage. Sélectionné par Antigone, une des cinq marraines des Matchs de la Rentrée Littéraire de Rakuten, je ne regrette pas du tout de l'avoir choisi parmi les quinze romans proposés.

Joaquim est un reporter de guerre qui vit dans un petit appartement parisien entre deux voyages, où rien n'a changé depuis des années. Appelé par un notaire qui lui apprend la mort de son père avec lequel il n'a plus de contact, il se rend à Rouen, sa ville natale. Il n'y est pas retourné depuis l'enterrement de sa mère il y a plus de vingt ans. Dans le train les souvenirs, souvent douloureux, resurgissent: son enfance, le suicide de sa sœur Viviane, la maladie de sa mère, l'absence de son père, son amour pour Ludmila et son séjour à Sarajevo en guerre. Grâce à l'alternance d'images et d'événements qui ont marqué et façonné sa vie d'adulte on plonge dans le passé intime de Joaquim.

Beaucoup de non dits et de souffrances dans ce petit roman qui n'est pas certes des plus joyeux mais qui m'a beaucoup plu. Une multitude de thèmes abordés: des relations familiales compliquées, la mort, la maladie, l'absurdité de la guerre. J'ai beaucoup aimé cette succession de tableaux, d'un chapitre à l'autre on passe de la perte de sa sœur après un suicide à son amour pour Ludmila, une réfugiée bosniaque, de l'enfance de Joaquim au vécu du siège de Sarajevo où se prépare un concours de beauté. De courts chapitres comme les flashs d'un appareil photo, d'ailleurs on y trouve pas mal de références à la photographie.

Malgré la cruauté de la vie qu'il décrit et la tristesse qui s'en dégage, ce roman est empreint d'une certaine douceur, la beauté de l'écriture y est sûrement pour quelque chose:
Photographier, ce n'est pas raconter la vérité. C'est délimiter par un champ  l'opération d'exister, et la fixer. C'est inventer un monde de gestes dépourvus de leurs conséquences: un éclair sans la foudre, une chute sans impact...
On ne peut pas cesser d'être photographe, de même qu'un écrivain ne peut rien opposer à sa porosité au monde, ni à ce double foyer qui lui sert de regard. Mais il arrive, pour toute sorte de raisons, que l'on choisisse, momentanément ou définitivement, de ne plus écrire, de ne plus photographier.
On ne conserve jamais que des traces de nos expériences fondatrices, des clichés flous, des images en apesanteur, si fragiles qu'à s'en saisir on risquerait de les pulvériser. Faute d'étalonnage au moment de les vivre, elles dérivent dans la mémoire et peinent à s'y fixer.
Le voyage, à vingt ans, est une éblouissante leçon d'humilité et l'école la plus formatrice. L'âge venant, il amène à poser sur le monde le constat de sa finitude.
Le temps n'est qu'un drap jeté sur les souvenirs, qu'une saut de vent suffit à découvrir.
Ce n'est ni le courage ni la détermination qui auront guidé ses pas de pays en pays, de ville en ville, de conflit en conflit, de risques en risques, mais l'impossibilité de demeurer immobile avec le souvenir de Viviane et la nécessité de la rechercher de corps en visage, de terre en mer, de bruit en silence.
Le père de Joaquim et Viviane était cet homme à l'affût, posté en lisière d'une famille qu'il avait construite comme malgré lui, ou bien par accident, et qu'il regardait souvent comme un corps étranger, une greffe à sa vie.
Buchet - Chastel - 2018 - 222 pages


10 commentaires:

  1. j'hésite toujours pour ce roman mais tu achèves de me convaincre!

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  2. J'ai été submergée par les drames qui s'accumulent dans ce roman, et suis passée un peu à côté (notamment la partie havraise)

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    1. Oui, il n'est pas très réjouissant mais cette accumulation de malheurs ne m'a pas empêchée de l'apprécier.

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  3. Heureuse de lire qu'il t'a plu. Je suis ravie ;) <3 Tu exprimes bien ce qui m'a plu aussi, cette poésie douloureuse.

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    1. Merci à toi de l'avoir proposé. Très bon choix.

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  4. Ravie que tu l'aies aimé aussi, j'aime beaucoup les extraits que tu retranscris, très beau roman que je conseille vivement !

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  5. J'ai aimé le style mais j'ai largement préféré un autre roman de l'auteure, Le plancher de Jeannot.

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